André-Louis SANGUIN, Université de Paris-Sorbonne

 

 

   1. Les micro-Etats du monde entre légende dorée et légende noire

Il est toujours difficile d’aborder l’analyse des micro-Etats car ils sont souvent considérés par les chercheurs comme des anomalies ou des exceptions folkloriques et les récits qui les accompagnent réfèrent à leur légende dorée ou à leur légende noire. La légende dorée met en relief les qualités de leur petitesse : small is beautiful, small is personal, small is democratic. Leur petitesse les transforme en une grande famille dont tous les citoyens ressortissants sont des membres à part entière. La légende noire qui les entoure renvoie aux rivalités politiques, à la corruption, au clientélisme, au blanchiment de l’argent sale et aux paradis fiscaux (Veenendaal, 2013). Il est regrettable de constater que les micro-Etats sont fréquemment exclus de la littérature scientifique à cause de leur insignifiance relative et du refus de reconnaître leur condition d’Etat alors que, pourtant, ils font partie du système international depuis les Traités de Westphalie (Ingebritsen, Neumann & Gstöhl, 2008)

Selon la plupart des classifications acceptées, on considère comme micro-Etat toute entité politique souveraine qui combine les deux éléments suivants : une superficie inférieure à 1000 km2 et une population inférieure à 400 000 habitants (Minassian, 2007). Il y a donc 22 micro-Etats dans le monde : 5 en Europe, 7 dans la Caraïbe, 2 en Afrique océanique, 1 dans l’Océan indien et 7 dans le Pacifique. Si nous appliquons les mêmes règles de superficie et de population, on recense également une douzaine de micro-territoires non souverains dans le monde qui sont des dépendances d’Etats plus importants (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande) L’avenir de ces micro-entités non souveraines sera examiné à la fin de cette étude.

Les 22 micro-Etats de la planète s’inscrivent dans un double contraste : le contraste continentalité-insularité et le contraste post-féodalisme/post-colonialisme. En effet, à l’exception des cinq micro-Etats d’Europe qui sont tous des Etats continentaux, les 17 autres micro-Etats de la planète sont des Etats insulaires. Ce contraste continentalité-insularité est renforcé par le contraste post-féodalisme/post-colonialisme. En effet, les micro-Etats du monde se divisent en deux groupes dont le processus de construction étatique est radicalement différent. Les micro-Etats d’Europe représentent les résidus territoriaux de l’ordre territorial féodal antérieur aux Traités de Westphalie, y compris le Vatican, pourtant créé par les Accords du Latran (1929). En effet, celui-ci peut être considéré comme le successeur des Etats Pontificaux (752-1870), si l’on s’accorde pour voir dans la Question Romaine (1870-1929) une parenthèse territoriale de cette continuité. Bref, les micro-Etats d’Europe portent les traces de l’Ancien Régime antérieur à 1789. Les micro-Etats de la Caraïbe, de l’Afrique océanique et du Pacifique sont tous des résidus de parties d’empires coloniaux. Leur accession à la souveraineté internationale s’explique essentiellement par la fragmentation insulaire. Alors que l’indépendance des micro-Etats d’Europe remonte au Moyen Age, celle des autres micro-Etats du monde s’inscrit dans le mouvement général de la décolonisation. C’est ainsi que les micro-Etats du Pacifique comptent parmi les plus récents du monde ( Siridopoulos, 2009).

Par leur petite taille, les micro-Etats sont hantés par la peur de disparaître, d’où leur obsession au droit à l’existence. C’est ce qui les différencie radicalement des autres catégories d’Etats. Ce fort sentiment de vulnérabilité engendre une psychologie collective de préservation de leur identité. Les micro-Etats non-européens subissent une pénurie de moyens matériels, une faiblesse des services publics, un manque de personnel administratif compétent et une politique étrangère limitée. C’est pourquoi, ces petits pays s’orientent toujours vers des politiques de coopération régionale. Non seulement cette solution leur permet de sortir d’une certaine forme de dépendance économique à l’égard du monde extérieur mais, de plus, elle leur procure une meilleure visibilité et une meilleure crédibilité. C’est tout le sens de la Zone Euro et de l’Espace Schengen pour les micro-Etats européens. Il en va de même avec la CARICOM (Caribbean Community) pour les micro-Etats de la Caraïbe et avec le Forum des Iles du Pacifique pour les micro-Etats du Pacifique (Minassian, 2007).

On a pu dire des micro-Etats qu’ils étaient des Etats protégés modernes, c’est-à-dire qu’ils sont des Etats souverains mais avec une différence fondamentale : ils ont dévolu certains de leurs attributs à des Etats plus grands. Cette dévolution leur permet de bénéficier de la protection de leur viabilité économique contre les contraintes géographiques et démographiques (Dumienski, 2014). Même s’ils sont engagés dans la diplomatie internationale, les micro-Etats disposent d’un très faible réseau consulaire et diplomatique, à l’exception du Vatican (Mohamed, 2002). Le Vatican est le siège social de l’Eglise catholique qui est l’organisation territoriale la plus ramifiée du globe : des évêchés divisés en paroisses d’un bout à l’autre du monde. Grâce à ce réseau pyramidal, le Vatican est l’une des rares entités souveraines à disposer d’une présence dans presque tous les pays du monde (180 nonciatures). Les autres micro-Etats d’Europe ont un réseau diplomatique plus réduit (13 ambassades pour l’Andorre, 15 pour Monaco, 57 pour San Marino). Le Liechtenstein n’a que cinq ambassades. En effet, en vertu de l’union diplomatique signée avec la Suisse en 1919, ce sont les ambassades et les consulats helvétiques qui assurent la représentation des citoyens de la Principauté du Liechtenstein. Tous les micro-Etats de type post-coloniaux ont un réseau d’ambassades très réduit ou inexistant (aucune ambassade pour Kiribati et jusqu’à 7 ambassades pour Barbados).

 

   2. Les micro-Etats d’Europe et l’Union européenne : une dynamique incertaine

Les études contemporaines considèrent plus ou moins les micro-Etats d’Europe comme des anomalies illogiques destinées à disparaître sous les pressions de l’unification européenne. En fait, ces Etats ne sont pas marginaux car ils comptent parmi les plus riches du monde. On peut dire qu’ils représentent l’antithèse des tendances à la mondialisation. Ils ne sont pas des sortes d’exceptions folkloriques mais plutôt la démonstration de la pérennité des frontières (Klieger, 2014). Ils ne font pas partie de jure de l’Union européenne mais, en raison des relations privilégiées qu’ils entretiennent avec leurs voisins, les micro-Etats d’Europe y sont intégrés de facto. Ils sont étroitement associés à leurs voisins à travers des conventions bilatérales concernant, par exemple, le régime d’imposition fiscale et les dépôts bancaires. Dans les faits, ils se trouvent intégrés dans le vaste ensemble de circulation qui les entoure. Officiellement, seul le Liechtenstein fait partie de l’Espace Schengen mais, dans la pratique, l’Andorre, Monaco et Saint-Marin sont dans Schengen car il n’y a pas de police des frontières entre ces trois micro-Etats et les voisins qui les entourent. Andorre, Monaco et Saint-Marin sont intégrés de facto à la Zone Euro puisque l’euro est la seule monnaie qu’ils utilisent. Quant au Liechtenstein, il est en union monétaire avec la Suisse depuis 1919 et c’est le franc suisse qui est sa monnaie officielle.

L’Union européenne fait pression sur ces petites enclaves souveraines afin qu’elles se mettent en conformité et en cohérence avec ses propres réglementations. Ainsi, Andorre, quintessence de l’Etat duty free, a été obligé d’introduire la TVA et un impôt sur les successions. La République de Saint-Marin a signé un accord de liberté de circulation des travailleurs avec l’Italie. Les Etats voisins font souvent pression sur le micro-Etat dans ses décisions de politique étrangère. Par rapport à l’Andorre et à Saint-Marin, Le Liechtenstein est en position plus avantageuse en termes de conduite de sa propre politique étrangère. Il n’est pas membre de l’Union européenne ni de la Zone Euro mais il fait partie de l’Espace Schengen. Le Liechtenstein applique une politique de multilatéralisme. Ses citoyens jouissent de la liberté d’établissement au sein de l’Union européenne alors que des quotas régissent la présence des citoyens communautaires dans la Principauté. Cette dérogation illustre la capacité de l’Union européenne à prendre en considération le contexte particulier d’un micro-Etat quand cela est nécessaire.

Les micro-Etats d’Europe peuvent-ils devenir membres à part entière de l’Union européenne ? Bruxelles a des doutes sur cette question capitale. Selon la Commission Européenne, les capacités administratives des micro-Etats d’Europe sont insuffisantes pour absorber la législation de l’Union européenne. Les positions sont d’ailleurs contrastées d’un micro-Etat à l’autre. L’Andorre manifeste une volonté de retarder son intégration dans l’UE et prend pour modèle le Liechtenstein. L’Andorre semble beaucoup plus intéressé à accéder à l’AELE puis, à moyen terme, à l’EEE. On observe la même volonté de retardement pour Saint-Marin. Le référendum tenu en septembre 2013 sur l’adhésion à l’UE n’a pas atteint le quorum requis. La République de Saint-Marin recherche beaucoup plus un Accord d’Association. Monaco recherche surtout des facilités pour ses activités commerciales. Contrairement au Liechtenstein, Monaco partage l’union douanière de l’UE, uniquement à cause de ses traités avec la France. Monaco n’est par prêt à accepter les Quatre Libertés de l’UE dans leur intégralité (biens, capitaux, services, personnes). Ainsi, à cause d’un marché de l’emploi très étroit, Monaco craint l’introduction de la liberté d’établissement et de services.

Afin de garantir une uniformité d’approche, la meilleure solution serait d’offrir aux micro-Etats d’Europe un Accord d’Association. Pour l’instant, l’Andorre est en union douanière avec l’UE par l’accord de 1991 (sauf pour les produits agricoles). Monaco fonctionne selon le traité franco-monégasque de 1963 et Saint-Marin est liée par son union douanière avec l’Italie. Un Accord d’Association permettrait de déterminer les règles et les clauses institutionnelles qui pourraient servir de base à de futurs traités entre les micro-Etats d’Europe et l’Union européenne. Les citoyens de ces micro-Etats se sentent pleinement européens et désirent un traitement préférentiel qui soit différent de celui des pays tiers. Dans la réalité, ils sont des quasi-membres de l’UE mais sous-privilégiés et passifs. Le régime de l’Accord d’Association permettrait d’élargir l’éventail des options d’intégration à l’UE. Le 16 décembre 2014, le Conseil de l’UE adoptait une décision autorisant l’ouverture de négociations avec Andorre, Monaco et Saint-Marin. Les négociations ont commencé au début de 2015. Les Accords d’Association pourraient donc permettre à ces trois micro-Etats de participer au Marché Unique et d’éliminer les obstacles concernant les Quatre Libertés. Ces accords permettraient aussi de procurer de plus grandes occasions d’emplois, en particulier dans les régions de l’UE voisines de ces micro-Etats (Forster & Mallin, 2014).

De tous les micro-Etats d’Europe, seul Saint-Marin est une république. Avant l’unification italienne de 1860, Saint-Marin fut un bastion de la liberté et de la démocratie. Saint-Marin montra sa neutralité pendant les deux guerres mondiales. L’organisation de partis politiques à connotation idéologique explique pourquoi la société de Saint-Marin est la plus politisée, comparée à celles des autres micro-Etats d’Europe. Toutefois, Saint-Marin est en très forte dépendance de l’Italie à cause de l’union monétaire, économique, douanière et postale. L’économie est, en partie, fondée sur la finance et la banque mais toutes les banques présentes à Saint-Marin sont italiennes (Veenendaal, 2013). A cause de son union économique et monétaire avec la Suisse, le Liechtenstein dispose de marges de manœuvre beaucoup plus larges vis-à-vis de l’UE. En outre, le Liechtenstein dispose de bases industrielles et bancaires que ne possèdent pas les autres micro-Etats d’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, le Liechtenstein est passé du stade de pays agricole pauvre à celui de pays industriel à haute technologie. La politique étrangère a pour objectif la sauvegarde de l’indépendance et du bien-être du pays. Cette politique étrangère s’exprime à travers la coopération multilatérale (ONU, OMC, Conseil de l’Europe, AELE, OSCE) et bilatérale (Suisse, Autriche, Allemagne, Etats-Unis). Les relations avec les Etats-Unis ont changé de rythme car les entreprises liechtensteinoises, installées aux Etats-Unis, y emploient plusieurs milliers de personnes (Stringer, 2013).

Contrairement à une opinion faussement répandue, l’industrie manufacturière est le plus gros contributeur à l’économie du Liechtenstein, bien avant les services financiers et les services tertiaires. Parmi les fleurons de l’industrie du micro-Etat alpin, il convient de mentionner trois leaders présents sur les marchés mondiaux : Hilti (fixations de précision), Ivoclar Vivadent (dents artificielles) et Hoval (solutions de chauffage). Quant aux banques du Liechtenstein, elles sont au nombre de 17, dont sept sont des succursales de banques autrichiennes et suisses. Avec 168 milliards de francs suisses de dépôt, elles engendrent 5000 emplois sur les 32 000 totaux du pays. Elles contribuent pour 33% au PNB national et elles procurent 40% des revenus de l’Etat.

 

   3. Les micro-Etats de la Caraïbe : paradis fiscaux et tourisme international

Les sept micro-Etats souverains de la Caraïbe (Antigua-Barbuda, Barbade, Dominique, Grenade, St Kitts-Nevis, St Vincent-Grenadines, Sainte-Lucie) partagent plusieurs caractéristiques communes : ils sont tous d’anciennes colonies britanniques, ils ont hérité du système parlementaire de Westminster, ils sont peuplés de descendants d’esclaves noirs, ils sont les clients politiques des Etats-Unis et, enfin, leur économie dépend largement du tourisme international qui constitue parfois 30 à 50% du PNB. Les micro-Etats de la Caraïbe sont aussi des paradis fiscaux abritant les sièges de sociétés offshore. La taxation est minimale ou nulle pour les non-résidents qui bénéficient du secret bancaire. Des filiales offshore de banques et de compagnies d’assurance sont installées dans ces micro-Etats insulaires. Ces Etats disposent d’un haut niveau d’accessibilité informatique (Internet) et ils inspirent confiance à leurs clients non seulement pour leur stabilité économico-politique mais aussi pour leurs aménités et leur environnement agréable. Par exemple, 12 800 sociétés sont enregistrées à la Dominique. La vente de passeports constitue aussi un revenu lucratif pour St Kitts-Nevis ainsi que pour la Dominique. La vente de pavillons de complaisance constitue une autre source de revenus pour d’autres Etats (Antigua-Barbuda, Barbade, St Vincent-Grenadines). Les jeux en ligne (offshore gambling) sont la spécialité de Antigua-Barbuda, Dominique, Grenade et St Kitts-Nevis. Ces micro-Etats proposent à un marché mondial de joueurs une gamme d’activités en ligne (poker, bingo, loterie, courses de chevaux et autres jeux classiques de casino).

Certains micro-Etats de la Caraïbe ont mis en place des zones franches industrielles d’exportation ou des zones franches pour des activités non industrielles. Une zone franche peut se définir comme un espace de dérogation législative et sociale. Dans leur aspect industriel, les zones franches dans la Caraïbe sont dédiées soit à l’assemblage textile, soit à l’électronique. Concernant les secteurs non-industriels, il s’agit d’activités diverses et évolutives dont celles des centres d’appel offshore, spécialement à la Barbade. Dans ces petits Etats, les zones franches ont émergé dans les années 1980 et 1990 et elles sont facilitées par le fait que tous les habitants sont anglophones. Le micro-Etat en entier peut avoir un statut d’île franche (St Kitts-Nevis, Antigua-Barbuda, Dominique, Barbade, St Vincent-Grenadines, Grenade). Ailleurs, la zone franche ne couvre qu’une partie bien délimitée de l’île (Sainte-Lucie). Les banques offshore se localisent surtout à St Kitts-Nevis, Antigua-Barbuda et Sainte-Lucie (Buzenot, 2009).

A l’exception de la Barbade, tous ces micro-Etats ont créé l’OECS (Organization of Eastern Caribbean States) en 1981 puis ont admis Anguilla, Montserrat et les Iles Vierges Britanniques comme membres associés. Tous les Etats membres de l’OESC utilisent une monnaie unique, c’est-à-dire le dollar de la Caraïbe orientale. Les micro-Etats de la Caraïbe montrent une vulnérabilité aux chocs environnementaux et économiques. Ils sont soumis au volcanisme, aux ouragans et aux séismes alors que leurs infrastructures touristiques et leurs établissements bancaires sont construits le long du littoral. Contrairement à leurs homologues de l’Océan Indien et du Pacifique, les micro-Etats de la Caraïbe sont non seulement très proches les uns des autres mais sont voisins du gros pôle touristique émetteur que sont les Etats-Unis et le Canada. Comme ils ont connu une plus longue période coloniale que leurs homologues du Pacifique, ils disposent d’infrastructures collectives, d’institutions publiques et d’équipements commerciaux plus développés (McElroy & Medek, 2012). Depuis plusieurs décennies, des mouvements migratoires se sont développés entre les micro-Etats de la Caraïbe et les grands pays anglophones (Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne). Les envois d’argent effectués par les membres de la diaspora vers leurs familles restées dans la Caraïbe constituent un revenu financier significatif dans ces îles à petite superficie et à petite population. Quand ils reviennent dans leur île natale, les émigrés de la diaspora sont dotés d’un savoir-faire et d’une expérience qui permettent d’enrichir les secteurs économiques et socio-culturels de ces micro-Etats (Connell & Conway, 2000).

La sociologie politique des micro-Etats de la Caraïbe est constituée d’un ensemble d’éléments communs. Tous ces pays minuscules sont peuplés principalement par une population noire, c’est-à-dire descendante des esclaves des plantations de canne à sucre. La culture politique est de type Westminster puisque ces pays ont hérité de la démocratie parlementaire britannique mais cette culture est mélangée avec des éléments d’autoritarisme. En d’autres mots, derrière une façade démocratique et malgré le rôle modérateur de l’OECS et de la CARICOM, l’environnement politique est aux mains d’une toute petite élite qui pratique le clientélisme et le favoritisme. La compétition politique s’exerce sur une base beaucoup plus personnalisée que programmatique dans la mesure où l’opposition se pose en victime du gouvernement. Peu d’institutions sont indépendantes, neutres et impartiales. Le clientélisme et le favoritisme sont très puissants dans le secteur public et fonctionnent comme une sorte de système de redistribution du bien-être social. Un micro-Etat comme St Kitts-Nevis est très représentatif de cette situation.

 

   4. Les micro-Etats du Pacifique : fragilité économique et pratiques particulières

Contrairement aux micro-Etats de la Caraïbe qui furent soumis à l’économie de plantation dès le début de la colonisation européenne, leurs homologues du Pacifique pratiquent un système fondé sur les chefs de villages, les clans familiaux et les îles. De plus, la découverte des îles du Pacifique par les Européens survint presque trois siècles après la découverte de la Caraïbe. Un autre point important doit être souligné : la plupart des micro-Etats du Pacifique ont connu plusieurs tutelles coloniales dans des périodes très courtes. C’est leur grande particularité. Le meilleur exemple est fourni par la République de Palau (indépendance en 1994). Ce très petit pays a connu quatre administrations coloniales différentes en un siècle : Espagne de 1885 à 1899, Allemagne de 1899 à 1914, Japon de 1914 à 1944, Etats-Unis de 1944 à 1994. Comme leurs homologues de la Caraïbe, les micro-Etats du Pacifique n’ont jamais connu la lutte pour l’indépendance et les guerres coloniales. En d’autres mots, le processus de décolonisation a correspondu à un processus moins agressif, moins chaotique et moins violent qu’en Afrique et en Asie. L’attribution de l’indépendance ne provint pas du peuple de la colonie lui-même mais d’une volonté du pouvoir colonial. Dans le Pacifique comme dans la Caraïbe, ce processus est souvent souligné pour expliquer la prédominance de la démocratie pluraliste. L’argument fréquemment mentionné consiste à dire que cette prédominance de la démocratie dans ces micro-Etats est liée à leurs liens historiques très forts avec de grandes puissances démocratiques : Etats-Unis et Grande-Bretagne (Veenendaal, 2013 ; Duranthon, 2012).

A cause de la multiplicité et de la diversité de leurs tutelles coloniales et à cause de l’absence de luttes politiques et de guerres pour l’indépendance, les micro-Etats du Pacifique manquent d’un sentiment d’identité nationale (Misra, 2004). De même, il est assez clair que leur petite taille et leur faible population a un impact direct sur leur politique étrangère. D’une part, cette politique étrangère cherche à solutionner des problèmes liés à la dépendance économique, à accroître la reconnaissance internationale, à maximiser les bénéfices économiques et l’aide au développement. D’autre part, il est évident que la petite taille limite et contraint les comportements de politique étrangère. Le paradoxe réside dans le fait que les micro-Etats du Pacifique ne peuvent pas supporter les coûts d’une indépendance complète (Duursma, 1996). Par exemple, depuis leur indépendance, la République de Palau (1994), les Etats Fédérés de Micronésie (1990), la République des Iles Marshall (1990) délèguent leur défense, leur sécurité et leur politique étrangère aux Etats-Unis dans le cadre du Compact of Free Association. A travers ce Compact, la générosité financière américaine soutient leur viabilité économique. Dans le contexte du post-colonialisme britannique, Nauru, Kiribati et Tuvalu ont plus ou moins ce statut d’Etat dépendant ou d’Etat à juridictions hybrides. Bref, tous ces micro-Etats essaient de capitaliser les avantages de la souveraineté et de l’autonomie parce qu’ils sont soutenus par un grand Etat bienveillant (Baldacchino, 2010). En termes économiques, la situation des micro-Etats du Pacifique est très différente de celle des micro-Etats de la Caraïbe qui ont de meilleures performances économiques. L’isolement géographique et l’éloignement des pôles émetteurs du tourisme international (Amérique du Nord, Union européenne, Japon) pèsent négativement sur ces Etats. Ils connaissent une croissance économique très lente. Beaucoup vivent encore de l’agriculture de subsistance et l’activité minière a définitivement disparu (phosphate de Nauru et de Kiribati). Le tourisme est très réduit, sauf quelques exceptions. On ne rencontre pas les retraités américains ou britanniques devenus résidents permanents ou temporaires dans les micro-Etats de la Caraïbe. Cependant, certains micro-Etats sont plus heureux. Dans la République de Palau, le tourisme international contribue pour 50% du PNB et 85% des touristes proviennent des Etats-Unis, du Japon et de Taiwan. Les Etats Fédérés de Micronésie et le Royaume de Tonga ont su faire du tourisme international la seconde source de leurs revenus.

On comprend aisément pourquoi les micro-Etats du Pacifique sont très dépendants de l’aide extérieure et des transferts d’argent envoyés par leurs ressortissants depuis l’étranger (Laplagne, Treadgold & Baldry, 2001; McElroy & Medek, 2012). Les faiblesses et les carences de leurs économies ont plusieurs niveaux d’explication. Ces petits Etats insulaires souffrent des coûts prohibitifs des transports maritimes et aériens qui pèsent négativement sur leurs échanges avec le monde extérieur. Leurs ressources naturelles sont limitées et ils sont obligés d’importer une bonne part de leurs produits alimentaires. Ils souffrent également d’une faible qualification de la main d’oeuvre et du poids disproportionné de l’administration publique.

L’entrée en vigueur du nouveau Droit de la Mer en 1994 (principe de la zone des 200 milles) a eu la conséquence de confronter les micro-Etats du Pacifique à une situation nouvelle qui est difficile à gérer. Ainsi, Kiribati qui n’a que 33 atolls et une superficie totale de 780 km2 se retrouve avec une zone des 200 milles couvrant 3,5 millions de km2 (13ème rang mondial). Ce contexte entièrement nouveau oblige Kiribati à redéfinir ses objectifs économiques (Neemia, 1995). Les micro-Etats du Pacifique devraient être les premiers bénéficiaires de cette constitution universelle de la mer que représente le nouveau Droit de la Mer puisqu’ils sont devenus les propriétaires d’immenses surfaces maritimes. Cependant, ils n’ont pas de flottes de pêche organisées à leur disposition. Conséquemment, ils sont dans l’incapacité non seulement d’exploiter leurs propres ressources de pêche mais aussi d’empêcher la pêche illégale. Les micro-Etats du Pacifique sont donc obligés de vendre des licences de pêche à des pays comme la Russie, les Etats-Unis, le Japon, la Corée, Taïwan et la Nouvelle-Zélande. C’est le cas des Marshall, de la Micronésie, de Nauru, de Kiribati et de Tuvalu. En général, le montant des redevances reçues par le micro-Etat représente 5% de la valeur des prises de pêche. L’aquaculture, la culture d’algues et la culture de perles pourraient se développer dans les lagons des atolls et proposer des emplois à leur population. Pour l’instant, rien n’a été mis en place à ce sujet (Thomas, 2003).

Les micro-Etats du Pacifique devraient être les lieux d’un tourisme international important grâce à leurs eaux non polluées, leurs plages propres, leur climat chaud et leurs vestiges de civilisations océaniennes anciennes. C’est exactement la situation contraire à cause de trois facteurs complémentaires : l’éloignement des grands pôles émetteurs de touristes, le coût prohibitif des transports aériens et les faibles capacités d’accueil. Dans certains cas (Samoa, Tonga), le nombre de ressortissants du micro-Etat est plus important à l’étranger que dans l’Etat lui-même. Ces expatriés contribuent au soutien de l’économie insulaire par l’envoi de transferts d’argent (par exemple, $ 11 millions par an à Kiribati). Le Compact of Free Association avec les Etats-Unis (en vigueur à Marshall, Palau et Micronésie) permet aux ressortissants de ces micro-Etats de ne pas être considérés comme des immigrants aux Etats-Unis. Cette situation spécifique explique pourquoi la majeure partie de leur diaspora vit aux Etats-Unis. Autrement dit, les transferts d’argent effectués par la diaspora ainsi que l’aide étrangère ont pour effet de procurer à ces micro-Etats une certaine aération économique (Connell & Conway, 2000).

La taille et la population de ces micro-Etats du Pacifique sont incapables d’engendrer des revenus suffisants. Afin d’atteindre ce but, ils essaient de s’équiper d’une gamme de politiques économiques spécifiques. Il est clair qu’Internet donne un grand pouvoir d’action aux sociétés offshore. Quelques micro-Etats du Pacifique ont plongés dans ces nouvelles possibilités pour développer les jeux de hasard et les paris en ligne (offshore gambling & betting), notamment les casinos, les jeux de bingo et les loteries en ligne. Ce nouveau type de jeux est, en partie, basé sur les paradis fiscaux et surtout sur l’usage de la carte de crédit. Les banques, les institutions financières et les sociétés émettrices de cartes de crédit sont concernées directement par ce type d’activité. La clientèle américaine fournit 70% des revenus des casinos Internet en opération dans ces micro-Etats. Dans les années 1990, Vanuatu a développé des sites de jeux en ligne à destination d’une clientèle d’Australie et d’Indonésie, de même que Palau avec une clientèle du Japon. En général, les gouvernements de ces micro-Etats prélèvent une taxe de 4% sur les recettes. Cette activité a fortement reculé depuis les années 2000-2010 après les pressions exercées par les Etats-Unis et l’Australie (Van Fossen, 2003).

Les micro-Etats du Pacifique montrent beaucoup de similitudes dans leur profil économique. Une part importante de leur population active exerce ses emplois dans la fonction publique gouvernementale : 30% à Marshall et à Palau, 50% en Micronésie. L’aide internationale contribue à renforcer le PNB et vient de l’ancienne puissance coloniale ou d’un Etat voisin important. Par exemple, les Etats-Unis, l’Australie et l’aide internationale injectent annuellement un montant considérable de millions de dollars à Marshall, Palau, Micronésie, Nauru, Tonga et Tuvalu. Dans certains micro-Etats, l’aide internationale représente entre 15% et 60% du budget annuel.

Les micro-Etats du Pacifique appliquent des politiques particulières qui créent des tensions avec la communauté internationale. Un exemple significatif est fourni par la délivrance de passeports de complaisance, qui est aussi une formule utilisée par les micro-Etats de la Caraïbe. Les micro-Etats du Pacifique auraient ainsi collecté en 2007 la somme de $153 millions par la vente de passeports (surtout à des Chinois). A l’exception de personnes relevant de réseaux maffieux ou du crime organisé, les passeports de complaisance s’adressent à une classe dirigeante riche qui n’a pas de réelle allégeance nationale et qui désire une sorte d’identité transnationale. La vente de passeports de complaisance constitue une part significative du PNB (11% à Marshall, 8% à Nauru et 6,5% à Tonga). La crédibilité des passeports de complaisance est aujourd’hui fortement remise en cause par les grands pays (Van Fossen, 2007). Le pavillon de complaisance représente une autre formule utilisée par quelques micro-Etats afin de générer d’autres sources de revenus. La vente du site Internet du Tuvalu (.tv) permet de contribuer pour 10% aux recettes du micro-Etat (une partie des acheteurs étant formée par les géants de l’industrie pornographique).

 

   5. Les micro-Etats du Pacifique devant les risques d’engloutissement dans l’océan

On ne peut aborder les micro-Etats du Pacifique sans évoquer le problème de l’élévation du niveau de la mer. Ils sont situés sur la ligne de front face à ce nouveau défi qui prend les allures d’une catastrophe environnementale mondiale. En conséquence, ces petits pays ont constitué l’Alliance of Small and Island States pour mieux se faire entendre dans les enceintes internationales, notamment à l’ONU (Baldacchino, 2010). Le réchauffement climatique gonfle la masse d’eau océanique et accélère la fonte des glaciers. Le résultat est une élévation généralisée du niveau marin. La majorité des micro-Etats du Pacifique est formée d’atolls coralliens ou d’îles basses. L’élévation du niveau de la mer a beaucoup de conséquences négatives qui sont clairement visibles : tempêtes violentes de plus en plus fréquentes, pluviométrie en augmentation, dommages portés aux coraux et aux frayères de poissons, récifs menacés, érosion et recul de la côte, invasion du sel dans les nappes phréatiques entraînant une infertilité des sols (Duvat & Magnan, 2010 ; Fitzpatrick, 2013). Les 250 îles de la République de Palau ont subi une élévation du niveau marin de 9 mm par an depuis 1993 (date des premières observations par satellites). Les 29 atolls de la République des Iles Marshall sont situés à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer et le niveau de celle-ci monte de 3,1 mm par an depuis 1993. Les 600 îles des Etats Fédérés de Micronésie sont situées ente 1 et 5 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce niveau a grimpé de 10 mm par an depuis 1993.

Les deux micro-Etats les plus affectés par le phénomène de l’élévation du niveau marin sont Tuvalu et Kiribati. C’est là que réside la situation la plus alarmante. Les 12 000 habitants de Tuvalu vivent sur 9 atolls pour un total de 16 km2. Ces atolls sont situés à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer. Depuis 1993, le niveau marin a augmenté de 3 mm par an. Sur l’atoll de Fongafale se localise la capitale Funafuti avec ses 700 habitants sur une île de 12 km de long et 400 mètres de large. Elle abrite aussi l’aéroport international. L’explosion démographique entraîne une hyper-urbanisation et un appauvrissement des nappes phréatiques d’où un phénomène de subsidence. Selon certains scientifiques, l’atoll de Fongafale aura disparu à la fin du XXIème siècle. Les 32 atolls de la République de Kiribati sont situés à 2 mètres au-dessus de niveau marin. La montée du niveau de l’eau, observée depuis 1993, s’établit à 4 mm par an. Devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies (septembre 2008), le Président de la République de Kiribati informa solennellement la communauté internationale que son pays deviendrait inhabitable dans 30 à 60 ans (Duvat & Magnan, 2010). En conséquence, il a demandé à l’ONU la création d’un statut de réfugié climatique (Kempf, 2009). Tuvalu a présenté la même demande à l’Australie en 2007. A cause du refus de l’Australie, Tuvalu présenta le statut de réfugié climatique à la Nouvelle-Zélande qui accepta le principe mais seulement quand Tuvalu deviendra inhabitable (Baldacchino, 2010). En 2012, le gouvernement de Kiribati a acheté 2000 hectares dans la République des Fidji afin de reloger les réfugiés climatiques et de planter des cultures vivrières à destination de ses propres habitants.

 

   6. Les micro-Etats isolés : Sao Tomé e Principe, les Seychelles et les Maldives

Compte tenu de leur localisation soit au large de l’Afrique (Sao Tomé e Principe, Seychelles), soit au large de la péninsule indienne (Maldives), ces trois micro-Etats forment une catégorie tout à fait à part. Si les Seychelles et les Maldives peuvent se comparer sur bien des points, Sao Tomé e Principe forme un cas très spécifique. Avec ses 964 km2 et ses 190 000 habitants, Sao Tomé e Principe représente le micro-Etat avec le plus lourd handicap. Avant la décolonisation et le départ précipité des Portugais en 1975, Sao Tomé e Principe avait fondé son économie sur la culture du cacao. L’imposition d’un régime marxiste de 1975 à 1990 et la nationalisation des plantations de cacao engendrèrent un effondrement économique. L’introduction de l’économie de marché et de la démocratie pluraliste en 1990 n’a pas permis à ce petit Etat de remonter la pente. Le pays est rongé par le clientélisme, le népotisme et la corruption. L’aide internationale agit comme un ballon d’oxygène mais disparaît, en bonne partie, dans des poches privées. La vie économique et politique est aux mains des Forros, c’est-à-dire de la minorité créole métissée qui a exclu toutes les autres catégories ethniques du pays de tous les centres de décision. L’importante zone des 200 milles qui entoure l’archipel est sous-exploitée en l’absence d’une flotte de pêche locale. Des espoirs avaient été placés dans le pétrole offshore qui est une ressource abondante le long du littoral du Nigeria, du Cameroun et de Guinée Equatoriale. Dans cette perspective, Sao Tomé a mis en place avec le Nigeria en 2003 une JDZ (Joint Development Zone) où 60% des recettes seraient pour le Nigeria et 40% pour Sao Tomé e Principe. Les conditions d’exploitation sont convenables dans la zone maritime proche du Nigeria mais la très grande profondeur de l’océan à proximité de Sao Tomé e Principe rend techniquement difficiles et financièrement prohibitives l’exploration et l’exploitation des champs pétrolifères au large du micro-Etat. C’est donc un curieux paradoxe : la présence d’une ressource naturelle importante est confrontée à un développement complètement hypothétique (Sanguin, 2014).

L’économie actuelle de Sao Tomé e Principe repose essentiellement sur le modèle MIRAB (Migration-Remittances-Aid-Bureaucracy). Une importante diaspora est disséminée au Portugal, au Cap-Vert et en Afrique continentale. Elle effectue d’importants transferts d’argent vers l’archipel. L’aide internationale contribue pour 80% au budget de l’Etat. Le Portugal est l’un des pays donateurs les plus importants mais se voit aujourd’hui concurrencé par le Brésil dont la politique étrangère est très active avec les Etats lusophones de l’Afrique. Avec ses 3500 agents, la fonction publique est hypertrophiée pour un si petit Etat. A cause de son riche potentiel (plages, montagne volcanique, parc national, anciennes plantations de café et de cacao, pêche sportive, randonnée, plongée), le tourisme international représente une solution d’avenir mais les équipements d’accueil sont absents (hôtels, B & B, cabin lodges, campings). Il n’y a aucune liaison aérienne sérieuse avec les grands pôles exportateurs de touristes en Europe. Le réseau routier est obsolète et doit être complètement rénové. Les liaisons maritimes et aériennes entre Principe et Sao Tomé sont chaotiques et irrégulières (Sanguin, 2014).

Depuis leur indépendance en 1976, les Seychelles (116 îles, 455 km2 et 89 900 hab.) ont expérimenté un itinéraire politico-économique très différent de celui des micro-Etats de la Caraïbe et du Pacifique. Le pays est bilingue (anglais et français) et membre du Commonwealth et de la Francophonie. Il a subi un coup d’Etat  en 1977 qui fut suivi par un régime de parti unique de tendance marxiste jusqu’en 2004. Le pays dispose d’une Zone Economique Exclusive de 1,3 million de km2. La pêche au thon représente environ 36 000 tonnes par an et la vente de licences de pêche atteint $7 millions par an. Bien que le tourisme international constitue l’activité économique principale, les Seychelles se sont retrouvées en faillite économique en 2008. Des réformes économiques ont été imposées par le FMI en échange de l’annulation de 45% de la dette du pays. Parmi les 45 802 emplois enregistrés, 8876 relèvent de la fonction publique et 8478 de l’hôtellerie-restauration. Les emplois fournis par le tourisme apportent 70% des devises étrangères du pays. Néanmoins, le pays importe 90% de sa consommation alimentaire qui est distribuée par une agence nationale, le Seychelles Marketing Board. Cette agence est propriétaire des principaux supermarchés et autres distributeurs de produits importés. Les 6490 lits accueillent 230 300 touristes (68,7% en provenance d’Europe et 11,9% d’Afrique du Sud). Comme à Sao Tomé e Principe, le pouvoir politique est confisqué par les Grands Blancs, c’est-à-dire par une élite créole métissée descendante des premiers planteurs français. Depuis le coup d’Etat de 1977, le même parti politique (Parti Lepep) assume le pouvoir. Ce contexte spécifique entretient le clientélisme et le népotisme. La politique étrangère des Seychelles fait partie d’un modèle international de type « patron-client » : de 1977 à 1991, l’URSS et ses satellites ; depuis 1992, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Afrique du Sud, l’Inde, la Chine et, plus récemment, les Emirats Arabes Unis. Le passé autoritaire et l’héritage politique placent le pays à part de ses homologues européens et antillais (Veenendaal, 2013).

De la même manière que les Maldives, les Seychelles ont développé une politique de tourisme haut de gamme. Les hôtels sont limités à 200 chambres tandis que la politique de prix élevés vise à agir comme filtre sélectif de la clientèle. Le gouvernement limite la fréquentation touristique à un maximum de 250 000 visiteurs par an. De plus, selon une vigoureuse politique de protection de l’environnement, 50% de la surface insulaire (soit 230 km2) a été transformée en zone protégée afin de donner au pays l’image d’un éco-archipel. Par exemple, l’île d’Aldabra n’a pas de population permanente et n’est seulement accessible aux scientifiques. Aldabra est inscrite sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO (Baldacchino, 2010). Le plus grand défi concernant les Seychelles est, indiscutablement, l’élévation du niveau de la mer qui augmente de 3 mm par an depuis 1993. Comme Kiribati et Tuvalu, les Seychelles ont lancé un exercice diplomatique de grande ampleur. Le Président James Michel a mis en place la Sea Level Rise Foundation en 2005 et le Global Island Partnership en 2007.

Plus encore que les Seychelles ou que les Etats de la Caraïbe, les Maldives sont la quintessence du micro-Etat dont l’économie est fondée sur un tourisme international de luxe. Les Maldives (298 km2 et 393 000 hab.) sont un chapelet de 22 atolls répartis sur 800 km Nord-Sud et 130 km Ouest-Est, localisé au Sud de la péninsule indienne. Les Maldives reçoivent 800 000 touristes par an. Le tourisme représente 75% des entrées de devises étrangères, 30% du PIB et 20% des emplois. On observe que 80% du territoire est situé juste à 1 mètre au-dessus du niveau de la mer. La capitale Malé (100 000 hab.) est un atoll de 2,5 km de long par 1 km de large, localisé à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer. Un tiers de sa surface a été gagné sur l’océan par comblement des lagons. De plus, 90% des îles de cet archipel subissent des inondations annuelles. Le pays a été frappé par le tsunami du 26 décembre 2004. Durant ce cataclysme, les eaux sont montées de 1 à 2 mètres et 35% des îles ont été submergés dans leur totalité. Le tsunami a été responsable de la fermeture de 20% des 89 îles-hotels. Les atolls coralliens sont extrêmement fragiles et sont victimes de submersion durant les fortes marées. Ils sont aussi très exposés à la houle. La mortalité des récifs coralliens entraîne une aggravation de l’érosion côtière. La capitale Malé est maintenant entourée par un mur de tétrapodes en béton afin de briser l’action des vagues. L’île artificielle de Hulhumale a été construite pour résister aux inondations. Ces politiques coûteuses d’ingéniérie peuvent atténuer ou retarder les conséquences de l’élévation du niveau marin mais elles ne s’attaquent pas aux causes et elles ne représentent pas une solution à long terme. Ces politiques sont également envisagées comme des stratégies pour favoriser de nouvelles lignes internationales de crédit. Ainsi, la vulnérabilité environnementale remplacerait la vulnérabilité économique comme un nouveau mécanisme justifiant le maintien des économies insulaires dans la catégorie MIRAB (Baldacchino, 2010).

   7. Conclusion : contraintes et atouts des micro-Etats du monde

Beaucoup de différences persistent entre les quatre grandes catégories de micro-Etats dans le monde. Leurs structures politiques et la forme de leur régime (monarchique, parlementaire, présidentiel) varient grandement d’un lieu à l’autre. A l’exception des micro-Etats d’Europe dotés de contre-pouvoirs, les gouvernements des micro-Etats de la Caraïbe et du Pacifique contrôlent toutes les institutions. Dans ce cas, l’impartialité et la neutralité de la fonction publique ne sont pas garanties. En plus, la corruption et le clentélisme sont des phénomènes endémiques. Le système politique des micro-Etats d’Europe est sui generis à chacun d’entre eux, tandis que le système des micro-Etats de la Caraïbe est une copie du parlementarisme britannique de type Westminster. Le système politique des micro-Etats du Pacifique se subdivise en deux catégories : soit une copie du modèle américain pour les micro-Etats issus de l’ancien Trust Territory of the Pacific Islands (Palau, Marshall, Micronésie), soit une copie du modèle Westminster pour les autres (Vanuatu, Nauru, Tonga, Tuvalu, Kiribati). En ce qui concerne les micro-Etats isolés, la situation est contrastée. Sao Tomé e Principe a un système semi-présidentiel copié sur celui du Portugal. Les Seychelles et les Maldives ont quitté le modèle Westminster pour adopter un modèle présidentiel avec une opposition minimisée ou muselée.

Les chercheurs en analyse comparée n’ont aucune raison d’exclure les micro-Etats dans leurs analyses parce qu’ils seraient trop petits pour être significatifs. Les micro-Etats ne doivent pas être victimes de l’exclusion. Il n’y a pas de raisons de les sous-estimer, même s’ils échangent leurs votes aux Nations-Unies pour obtenir des avantages matériels de la part de leurs Etats protecteurs. Depuis leur accession à l’indépendance, les micro-Etats insulaires de la planète fonctionnent selon l’un ou l’autre des trois modèles économiques suivants :

MIRAB (Migration, Remittances, Aid, Bureaucracy)

PROFIT (Management over People, Resources, Overseas Engagement, Finances/Taxation, Transportation)

SITE (Small Island Tourist Economy)

Les micro-Etats insulaires post-coloniaux sont obligés d’utiliser des ressources extra-territoriales comme base pour leur développement économique. Le modèle MIRAB montre une certaine passivité qui est acceptée par le micro-Etat insulaire. Au contraire, le modèle PROFIT favorise une orientation économique plus active. Le modèle SITE se veut totalement centripète. Quelques exemples de la réalité de ces modèles peuvent être proposés. Sao Tomé e Principe est l’archétype du micro-Etat MIRAB tandis que Antigua-Barbuda représente la quintessence du micro-Etat PROFIT. De leur côté, les Maldives ou les Seychelles sont la meilleure illustration de micro-Etats SITE. Les micro-Etats insulaires ont pu migrer de l’un vers l’autre de ces modèles (McElroy & Parry, 2012). Qu’il soit très clair que les micro-Etats d’Europe n’ont aucun rapport avec ces trois modèles qui sont fortement liés à l’insularité, au sous-développement, à la décolonisation et à l’isolement géographique.

Il existe encore 16 territoires qui sont inscrits sur la liste des Nations-Unies des derniers territoires à décoloniser. Parmi ces 16 entités, on rencontre une douzaine de micro-territoires insulaires ou continentaux (moins de 1000 km2 et moins de 400 000 hab.) : Samoa américaines, Guam, Pitcairn, Tokelau, Anguilla, Iles Vierges Britanniques, Cayman, Gibraltar, Montserrat, Saint Hélène, Turks-Caicos, Iles Vierges Américaines. Les élites politiques de ces micro-territoires à décoloniser observent lucidement les situations politiques et économiques des micro-Etats de la Caraïbe et du Pacifique. Elles ont tiré les conclusions de leurs observations : elles sont absolument contre l’indépendance. Dans plusieurs cas, cette indépendance a même été refusée solennellement dans le cadre de référendums locaux. Les derniers micro-territoires à devenir souverains à la fin du XXème siècle furent la République de Palau, la République des Iles Marshall et les Etats Fédérés de Micronésie. Ils représentent l’ultime limite des concepts d’indépendance et de souveraineté internationale. En fait, tous ont un siège aux Nations-Unies. Cependant, selon les clauses du Compact of Free Association avec les Etats-Unis, ils ont renoncé à leur défense, à leur sécurité et, pratiquement, à leur politique étrangère. En retour, la générosité financière des Etats-Unis, mentionnée et calculée dans le Compact, leur permet de jouir d’une viabilité économique. Malgré ces garanties financières généreuses, les Iles Mariannes du Nord ont préféré la séparation avec les Etats Fédérés de Micronésie afin de signer un accord différent avec les Etats-Unis sous la forme d’un statut de Commonwealth comme Porto-Rico. Les Etats-Unis contrôlent leur politique étrangère mais, en échange, ils les défendent contre toute agression extérieure. Le même statut a été adopté par Tokelau, Cook et Niue avec la Nouvelle-Zélande. La dynamique de la décolonisation a considérablement changé. En d’autres mots, la souveraineté internationale n’apparaît plus comme la voie normale pour ces petits peuples. Pour eux, l’autonomie interne semble une solution beaucoup plus confortable. Cook, Niue et Tokelau sont des Etats en libre association avec la Nouvelle-Zélande. Leurs ressortissants bénéficient de la citoyenneté néozélandaise. De même, les habitants du Commonwealth des Iles Mariannes jouissent de la nationalité américaine (Baldacchino, 2010).

Finalement, la question des micro-Etats dans le monde ne constitue pas un bloc homogène. En réalité, les quatre groupes de micro-Etats (Europe, Caraïbe, Pacifique, zones isolées) sont difficilement comparables entre eux. Quoi de commun, en effet, entre Sao Tomé e Principe, le plus pauvre et le plus isolé de tous les micro-Etats et le Liechtenstein, sans doute le plus riche et le mieux équilibré en termes économiques ? (Stringer, 2013).

Un bilan politico-économique montre que les micro-Etats du monde se situent sur une échelle dépendance-indépendance. Les micro-Etats d’Europe apparaissent comme les plus réussis. Cependant, à l’exception du Liechtenstein, ils sont tous dans une relation de dépendance de facto avec l’Etat ou les Etats qui les entourent. A cause de leur proximité avec le monde nord-américain, les micro-Etats de la Caraïbe fonctionnent avec le double système « tourisme international-paradis fiscal ». A cause de raisons écologiques (montée des eaux marines) et de contraintes géographiques (isolement, éloignement, trop petite superficie fragmentée en atolls), les micro-Etats du Pacifique dépendent, pour leur survie, de l’aide de pays voisins (Australie, Nouvelle-Zélande) ou de l’ancienne puissance coloniale (Grande-Bretagne, Etats-Unis). Les Seychelles et les Maldives ne ressemblent pas à leurs homologues de la Caraïbe et du Pacifique. Leur bien-être économique est justifié par la prédominance d’un tourisme international haut de gamme. Enfin, Sao Tomé e Principe apparaît comme le cas unique d’un micro-Etat avec un avenir compromis, mais qui n’est pas lié à la montée du niveau marin.

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